Les premières fois
sont excitantes, effrayantes, passionnantes. Parfois décevantes. Territoire
inexploré, on se prend pour Christophe Colomb. Les caravelles en moins,
peut-être.
S’il est une
première fois dont je ne me laisse jamais – aussi paradoxale que puisse
paraître cette affirmation – c’est bien la découverte d’un nouveau lieu de vie.
Les escaliers de votre peut-être futur appartement, la ligne de bus qui vous
permettra de rentrer chez vous les six prochains mois, la boulangerie à l’angle
qui vend les meilleurs pains au chocolat du quartier, le petit raccourci pour
aller en cours que vous ne découvrirez que dans quelques semaines. Des lieux
qui vont devenir familiers à force d’être fréquentés, mais qui ne sont pour le
moment que des impressions, des sensations en bataille, des découvertes.
From Bargarh Mor with love. |
La route de Bargarh
Mor est de ces lieux. De ces endroits qu’il faut avoir fréquenté
quotidiennement pour en percevoir les détails. Quand je suis arrivée, bien trop
blanche avec un sac à dos bien trop gros, je n’ai vu qu’un énième croisement à
l’indienne. Deux routes poussiéreuses, quelques étals de fruit et des échoppes
pour acheter du pan, un chai et trois samosas veg’. J’étais tellement submergée
par ces nouvelles sensations, agrippée au siège derrière Alexis, qu’entretenir
une conversation relevait de l’impossible. Je ne voyais qu’un plan large. Et
flou.
Et puis, à force
d’emprunter la route pour prendre le bus d’Allahabad ou de Chitrakoot, à force
d’aller à Paranubaba ou se rendre à Schankargard, j’ai enfin pu les voir, ces
détails. Du lever au coucher du soleil, au petit matin ou en pleine nuit, les
yeux rivés sur druethara, assise
derrière Ramesh ou écrasée entre Jen et Chotu pour ne pas avoir froid, dans le
4x4, en moto ou à rickshaw, j’ai appris à connaître la route de Bargarh Mor. La
grande maison jaune à l’angle, le tas de brique qui me fait toujours penser à
une grosse tortue, le champs inexplicablement parsemé de vieux essieux de moto,
le passage à niveau qu’on ne doit respecter qu’en rickshaw, la station Indian
Oil, le chemin ombragé qui mène à l’office des forêts, autant de balises sur
cette route qui nous ramenait chez nous.
Depuis quelques
jours, je découvre une nouvelle route. Qui passe par la pyramide du Louvres,
l’Opéra Garnier et les avenues parisiennes. Une route qui me mène aux
ascenseurs dorés des Galeries, avant de s’achever devant le poste 8732 et mes
post-it colorés. Une nouvelle aventure qui s’annonce.